Severiano de Heredia : noir, maire de Paris… et oublié !

Il a servi la France… mais la France l’a complètement oublié.

Descendant d’esclaves né à Cuba, Severiano de Heredia a connu un destin en tout point exceptionnel. Sa vie fut romanesque, épique, prestigieuse et pleine de succès. Pourtant, aussitôt enterré, cet homme noir a été rangé dans les oubliettes de l’histoire. La preuve : plus personne ou presque ne se souvient que Severiano de Heredia a été ministre de notre République et, même, maire de notre capitale, Paris ! Retour sur la vie d’un homme qui a servi la France… mais que notre patrie a préféré renier en raison de la couleur de sa peau.

En 2011, un historien du nom de Paul Estrade, a publié un livre entièrement consacré à cet homme. Son titre : Severiano de Heredia. Ce mulâtre cubain que Paris fit « maire », et la République, ministre. Bizarrement (ou pas) cet ouvrage est passé inaperçu. Dommage, car il expliquait justement pourquoi la France avait préféré tirer un trait sur le souvenir de l’un de ses serviteurs. Extrait :

« Pas de portrait de lui, même pas à l’Hôtel de Ville de Paris qui collectionne, pourtant, portraits et statues de ses anciens maires ; pas de trace de son existence dans la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, ni dans les ouvrages qui évoquent « ces Noirs qui ont fait la France », etc. Severiano de Heredia a été une victime – je ne sais si centrale ou collatérale – de la politique coloniale de la France en Afrique, et de la persistance d’un état d’esprit colonialiste chez nous, même après l’étape dite de la « décolonisation » ».

Heureusement, un premier pas a récemment été fait vers plus de reconnaissance. Le 5 octobre 2015, Anne Hidalgo, successeur de Severiano de Heredia au poste de maire de Paris, a enfin baptisé une rue du nom de ce cet afro-cubain naturalisé français en 1870.

Voici l’image de la plaque (pour info, à l’époque, le maire de Paris était appelé « président du conseil de Paris ».)

Crédit photo : Philippe Triay

 Présent pour cette inauguration, Paul Estrade en a profité pour redire l’injustice que la France a fait subir à l’homme honoré ce jour là :

 « Severiano de Heredia a été oublié parce que Noir. Sa tombe refermée, l’ex-ministre est aussitôt mis sous le boisseau dans la patrie qu’il avait choisie et servie de façon admirable. Lui, l’étranger né aux colonies, lui, l’étranger descendant d’esclave. La subite dégradation de son image, puis sa disparition totale, ont été la conséquence inéluctable des méfaits du racisme et du colonialisme. La République a été son tremplin, le colonialisme son tombeau. La ville de Paris s’honore de se reconnaître en lui ».

Anne Hidalgo n’a pas dit autre chose, expliquant simplement les raisons de son geste :

« Nous sommes là pour sortir de cet oubli coupable. »

Pour en savoir plus sur cet homme volontairement oublié, voici sa vie résumée en quelques dates clefs :

8 novembre 1836 : Naît à Cuba de parents de couleurs mais libres.

1846 : Envoyé par son parrain, il arrive en France.

1855 : Il reçoit le grand prix d’honneur du lycée Louis-le-Grand à Paris.

28 septembre 1870 : Il obtient sa naturalisation par décret.

1873 : Entre au conseil municipal de Paris pour le quartier des Ternes (17è arrondissement).

1879 : Devient président du conseil de Paris à 42 ans (équivalent du maire aujourd’hui).

1881 : Entre à la chambre des députés.

30 mai 1887 : Devient ministre des travaux publics (ministère au sein duquel il lutta pour réduire la journée de travail en usine à 10 heures pour les enfants de moins de douze ans).

12 février 1901 : Meurt à son domicile rue de Courcelles après avoir consacré les dernières années de sa vie à la littérature.

La fin de sa carrière politique fut compliquée. Certains expliquent ce déclin par l’exposition universelle de 1886 à Paris. Pour l’occasion, un zoo humain enfermait  des gens de couleurs issus des colonies. L’événement avait eu beaucoup de succès et a peut-être changé le regard que pouvaient avoir les Parisiens sur les hommes noirs, aussi brillants soient-ils…

Ls Etats-Unis ont eu un président noir. Il y a plus de cent ans, en terme d’intégration réussie, la France avait fait presque aussi bien. Malheureusement, elle avait aussitôt fait marche arrière… Quel gâchis ! La reconnaissance, pour ne pas dire la réhabilitation, de Severiano de Heredia serait un progrès. Pourvu que notre beau pays s’y intéresse enfin !

Pour aller plus loin, lire l’ouvrage de Paul Estrade : Severiano de Heredia. Ce mulâtre cubain que Paris fit « maire », et la République, ministre.

De Paul Estrade
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